On ne manque pas de trouver dans l’habituelle critique de la société de consommation un peu de ce « mal du siècle » qui introduit une comparaison avec les sociétés rurale et industrielle précédentes.
Avec un brin de nostalgie et pas assez d’objectivité parfois puisque personne ne peut nier la formidable amélioration des conditions de vie, l’essor économique permis et l’inventivité technique déployée ; on ne peut non plus nier qu’il existe en chacun de nous un « bonheur » à consommer équivalent aux plus nobles délectations intellectuelles.
La belle machine donne toutefois l’impression de s’être emballée, la frénésie des acheteurs et l’avidité des vendeurs s’entraînant tour à tour et enrôlant le système entier incapable de faire machine arrière, de se corriger ou même de se contrôler.
La consommation permettait d’abord d’assouvir des besoins essentiels : elle s’est progressivement orientée vers la satisfaction des envies. la consommation était l’apanage des classes moyennes, qui affichaient ostensiblement leur nouveau confort de vie et leur ascension sociale : elle s’est progressivement dissociée des capacités réelles de revenu.
La rationalité et la responsabilité peinent à exister au pays des marchands de rêve. Le retour à cette réalité, lorsqu’elle n’est plus sublimée mais simplement niée ou esquivée, n’en est hélas que plus brutal.
La défense des droits des consommateurs se développe et se renforce à mesure que les outils de séduction se développent eux aussi. L’impossibilité de consommer crée par-delà l’insatisfaction, les frustrations auxquelles il est bien plus difficile de résister et des souffrances qu’il est bien plus difficile d’accepter. Certaines dépenses sont alors compensées par un endettement supplémentaire, aux confins du surendettement, qui devient lui-même un marché avec ses offres de produit financiers plus ou moins adaptés, où la solvabilité ne figure pas toujours parmi les priorités des emprunteurs comme des créditeurs.
La société de consommation influence par ailleurs nos comportements en dehors du cadre strict de l’échange commercial. le mimétisme est tel qu’on finit par consommer son cercle familial ou les institutions de la République avec cette même accélération des fameux « cycles de vie du produit » qui conduit à utiliser plus et plus vite, pour se lasser plus et plus vite.
Notre société moderne, libérée de ses anciens jougs, n’a-t-elle pas créé de nouvelles formes d’asservissement, perverses en ce qu’elles n’opposent plus des classes ou des collectifs entre eux mais en ce qu’elles atteignent les individus eux-mêmes dans leur dimension personnelle, psychique et émotionnelle.
L’homme vaut parfois plus par ce qu’il dépense que ce qu’il pense et sa quête du bonheur navigue entre illusion et désir de possession. Redonner du sens, du temps, des convictions, c’est peut-être rouvrir les portes de la liberté et briser ce carcan de la vie consommée pour respirer l’air d’une vie vécue et véritablement choisie.
Jean-Paul Delevoye
Novembre 2010
(Source: www.mediateur-republique.fr/)