France | Proximité, accès au droit, libertés individuelles : une loi de programmation et une réforme de la Justice perfectibles

Depuis le mardi 9 octobre 2018, le Sénat étudie le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Lors des travaux en commission des lois, les sénateurs ont auditionné Jacques Toubon, Défenseur des droits, dont les observations figurent dans l’avis n°18-22 adressé aux parlementaires.

Favoriser l’accès au droit du justiciable

Le Défenseur des droits s’inquiète que la suppression des tribunaux d’instance et du statut du juge d’instance, chargé de la protection des plus vulnérables, contribue à éloigner l’usager de l’accès au droit. Ces tribunaux traitent actuellement des matières touchant les personnes les plus fragiles (mesures de protection, surendettement, baux d’habitation …), ils sont géographiquement proches des justiciables, faciles à saisir, peu coûteux et jugent dans des délais raisonnables.

Afin de conserver une justice de proximité et d’éviter la création de « déserts de droit », il est nécessaire de renforcer le maillage territorial formé par les auxiliaires de justice (avocats, notaires, huissiers, etc.), les associations et les institutions (CDAD, points d'accès au droit, maisons de justice et du droit, etc.).

L’importante dématérialisation envisagée risque également de faire reculer l’accès au droit des usagers, le Défenseur des droits recommande donc la conservation d’une voie alternative papier pour saisir les juridictions et le renforcement d’un accueil téléphonique. De la même manière, la dématérialisation de la procédure, l’absence d’audience et le recours à la visioconférence ne doivent pas être imposés si le justiciable s’y oppose.

Enfin, le Défenseur des droits approuve les mesures tendant à favoriser la voie du règlement amiable mais il recommande l’introduction de garanties afin que l’échec éventuel de la médiation ne pénalise pas les parties dans les étapes suivantes du litige. Le droit à un recours effectif et le droit à un procès équitable étant des droits fondamentaux[1], les procédures de règlements amiables ne doivent pas empêcher les parties d’exercer leur droit d’accès au système judiciaire.

Simplifier la procédure ne doit pas porter atteinte à l’accès au juge

Le Défenseur des droits s’inquiète de la « déjudiciarisation » et du manque d’indépendance qu’entraînerait la gestion, par les organismes débiteurs des prestations familiales, de la révision des contributions à l’éducation et à l’entretien des enfants (CEEE), car ces organismes sont directement intéressés par le montant des prestations.

La suppression de la tentative de conciliation des époux par le juge dans le cadre de la procédure de divorce risque, quant à elle, de porter atteinte aux droits des enfants concernés. Cette phase de conciliation est, en effet, indispensable pour rappeler aux parents les droits et obligations afférents à l’exercice de l’autorité parentale et permettre au juge de s’assurer que le mineur a été informé de son droit à être entendu, afin de faire valoir ses intérêts.

Ne pas réduire le contrôle de l’autorité judiciaire

L’élargissement du champ d’application des techniques spéciales d’enquête, qui sont des mesures particulièrement intrusives, à tous les crimes ne peut se faire que si le magistrat du siège continue à jouer le rôle de garant de la protection des libertés individuelles dans la procédure.

Le contrôle de l’autorité judiciaire sur les agents exerçant des missions de police judiciaire doit être maintenu car il est une garantie essentielle du respect des obligations déontologiques qui incombent aux fonctionnaires de police et de gendarmerie. Le renouvellement de la durée de la garde à vue doit également rester sous le contrôle de l’autorité judiciaire.

Garantir le respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté

Le Défenseur des droits regrette que le projet de construction de nouvelles places de prison reporte à 2022 le moratoire sur l’encellulement individuel car cela entrave le droit des personnes détenues à être placées seules en cellule.

Il déplore également le flou qui entoure la réforme du régime de motivation des peines d’emprisonnement qui permet actuellement la mise en œuvre du principe d’individualisation des peines et garantit la bonne compréhension, par le condamné, des motifs conduisant à l’adoption de la peine. Il serait souhaitable d’adopter une règle générale imposant la motivation des peines, en matière correctionnelle et criminelle.

 

Source: Le Défenseur des droits, France

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